Les oiseaux et les abeilles, de grands rivaux

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Oiseau splendide au plumage bleu cobalt, l’ara de Lear a pour seul habitat une petite zone de l’état de Bahia

Mettre fin à la compétition opposant l’ara de Lear à l’abeille africanisée pour l’obtention des cavités de nidification

Oiseau splendide au plumage bleu cobalt, l’ara de Lear a pour seul habitat une petite zone de l’état de Bahia, dans la région nord-est du Brésil. Cette région peu peuplée, couverte de forêts de broussailles sèches, de cactus et de ranchs bovins, ressemble singulièrement au Texas. On y trouve aussi des canyons de grès pleins de cavernes, que l’ara de Lear a adoptées comme unique lieu de reproduction. Toutefois, au cours de la dernière décennie, les cavités de nidification de ce perroquet se sont faites envahir petit à petit, non pas par un autre oiseau ou même un petit mammifère, mais par un insecte : les abeilles mellifères africanisées (AMA) se multiplient et empêchent les aras d’accéder aux cavités de la falaise et, du même coup, limitent leurs chances de s’accoupler. Malheureusement, ces abeilles ont emporté avec elles tout un lot de problèmes en plus de représenter un risque important non seulement pour les aras, mais aussi pour les scientifiques qui les étudient.

Mettre fin à la compétition opposant l’ara de Lear à l’abeille africanisée pour l’obtention des cavités de nidification
Lieu de nidification typique de l’ara de Lear.

Vers l’an 2000, la population d’aras de Lear ne comptait qu’environ 800 oiseaux. La détérioration de leur habitat, le braconnage et la menace des fermiers, lesquels éliminaient les perroquets pour protéger leurs cultures de maïs, constituaient autant de facteurs contribuant au déclin de leurs nombres. Des scientifiques menés par Dre Erica Pacífico et Thiago Filadelfo se sont alors mis à étudier l’ara de Lear en 2008. Ils ont commencé par dénombrer leurs nids puis ont descendu le canyon, se faufilant entre des crevasses pour pouvoir rejoindre les oisillons. Ils ont relevé la taille et le poids de ces derniers, les ont bagués et ont prélevé des échantillons de sang. Durant cette période, les scientifiques ont également constaté une augmentation du nombre de colonies d’abeilles nichant dans les falaises de grès, notamment dans les cavités qu’utilisaient autrefois les aras pour se reproduire. En 2014, ils ont publié les résultats de leurs recherches, selon lesquels seuls 20 % de la population totale de ces perroquets ne s’accouplaient, ce qui représentait un taux très inquiétant pour une espèce menacée. Ils ont alors émis l’hypothèse que cette proportion très basse était due non pas seulement au manque de nourriture, mais aussi à la diminution des sites de nidification disponibles.

Les colonies d’abeilles sont devenues si nombreuses qu’elles commençaient à limiter l’accès des chercheurs aux nids d’aras. Reconnues pour leur nature férocement défensive qui leur a valu le surnom « abeilles tueuses », les AMAs représentaient une réelle menace pour les scientifiques. Pour se protéger des piqûres d’abeilles lors de leurs descentes le long des falaises, ces derniers ont dû commencer à porter des tenues d’apiculteur et à transporter des enfumoirs, lesquels servent à masquer les phéromones d’alarme des abeilles pour les empêcher de communiquer à leur essaim qu’elles sont en danger. Malgré leur équipement, les chercheurs ont été incapables d’atteindre de nombreux nids d’aras en raison des insectes, ce qui a entravé la collecte de données.

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Collecte de données à la base du canyon. Les chercheurs compilent les données recueillies auprès des oisillons ainsi que d’autres animaux habitant les cavités de nidification de ce perroquet, comme des lézards et des insectes.

Les AMAs ont été importées au Brésil en 1954, à Sao Paulo, dans le cadre d’une expérience génétique visant à croiser des abeilles pour obtenir une espèce adaptée au climat tropical. Toutefois, peu de temps après leur arrivée, les abeilles africanisées sont parvenues à s’échapper : il n’aura ensuite fallu qu’un rien de temps pour qu’elles se répandent partout en Amérique latine, allant même jusqu’au nord-ouest des États-Unis. Dès 1970, elles avaient envahi l’habitat des aras de Lear. À ce jour, l’AMA est considérée comme l’insecte envahissant s’étant le mieux établi.

Lors d’un congrès sur les perroquets, en 2012, Dre Pacífico a rencontré la Dre Caroline Efstathion, qui étudiait alors des façons de réduire la compétition existant entre abeilles mellifères et perroquets pour l’obtention des cavités de nidification. Après avoir discuté du problème auquel étaient confrontés les aras de Lear, les deux ont entamé une collaboration.

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Rob et Caroline se reposent après leur randonnée dans le canyon et posent pour une photo.

L’APEC (Avian Preservation and Education Conservancy) est un organisme sans but lucratif fondé par Rob Horsburgh et Dre Efstathion. Cette dernière a développé une méthode dite « Push-Pull » (repousser, attirer) visant à repousser les abeilles des nids de perroquets. Pour ce faire, les cavités de nidification sont imprégnées d’un insectifuge sans danger pour les oiseaux, tandis qu’un piège à essaim est enduit de phéromones de rappel, dont l’odeur est familière aux abeilles, pour attirer ces dernières.
Ainsi, les éclaireuses cherchant un nouvel habitat pour la colonie opteront plutôt pour la ruchette piège, qui est conçue pour servir d’habitat de remplacement aux abeilles en plus d’être mieux adaptée à leurs besoins. Du même coup, celles-ci n’occuperont pas les nids recouverts d’insectifuge.

Au cours des dernières années, l’APEC a visité les sites de nidification des aras de Lear pour tenter d’y appliquer la méthode « Push-Pull ». Même si les AMAs sont considérées comme une espèce envahissante, les habitants de la région ont vite appris à s’en servir comme ils se serviraient des abeilles mellifères européennes, soit pour produire du miel, de la propolis et des produits à base de cire. Les abeilles capturées représentant des ressources précieuses, un plan de conservation a été mis en place par l’APEC pour sensibiliser les agriculteurs aux aras de Lear et les encourager à s’adonner à l’apiculture. Toutefois, une véritable culture de « chasse au miel » semble exister dans la caatinga : de nombreux résidents ont pris l’habitude de récolter le miel des abeilles eux-mêmes en escaladant les falaises ou en construisant des échelles de branches le long des parois rocheuses. Toutefois, ces « chasseurs de miel » rejoignent parfois les nids des aras en élevant leurs échelles : on peut ainsi dire qu’en raison de leur proximité aux nids d’oiseaux, les colonies d’AMAs ont contribué à encourager le braconnage. De plus, d’après les fermiers de la région, de nombreux étrangers se rendraient dans la région à cette fin, mais choisiraient de le faire non pas pendant la récolte du miel, mais pendant la saison des amours. Il ne serait pas surprenant que ces individus se servent des abeilles comme excuse pour chasser des aras et d’autres perroquets de la caatinga.

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Des chercheurs enseignent aux fermiers de la région comment gérer une ruche.

L’APEC a aussi découvert que l’abattage de gros arbres creux, pour récupérer le miel des colonies d’AMAs qui y sont nichées, contribue également à la détérioration de l’habitat des aras de Lear. L’objectif de l’organisation est de réduire les menaces liées aux abeilles en enseignant à certains agriculteurs de la région comment entretenir des ruches.

L’apiculture peut représenter pour les fermiers une source de revenu additionnel et écologique. Contrairement aux autres types de cultures qui demandent à ces derniers de défricher la terre en plus de nécessiter beaucoup de ressources, comme de l’eau, l’apiculture ne nécessite que du pollen, lequel est disponible dans la nature. L’APEC procure aux fermiers l’équipement de base, comme les tenues d’apiculteur, les enfumoirs et les ruches de bois, en échange de quoi les fermiers doivent surveiller les pièges à essaim. Les essaims capturés servent ainsi à peupler les ruches des apiculteurs et à leur fournir du miel, de la cire et de la propolis, ce qui libère du même coup l’espace de vie des aras.

Grâce aux nombreux efforts déployés continuellement pour protéger les aras de Lear, leur population s’est remise à grimper pour atteindre environ 1 200 oiseaux. Toutefois, le faible taux de reproduction demeure préoccupant. L’APEC poursuivra ses travaux dans la caatinga dans le but de réduire les problèmes liés aux AMAs, lesquels viennent entraver les efforts de conservation des aras de Lear.

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Un magnifique ara de Lear prend son envol près de la caméra pour une superbe photo.

L’APEC a réalisé des projets similaires pour d’autres espèces de perroquets en Afrique du Sud, au Guatemala, dans les Caraïbes ainsi que dans les régions du sud-est du Brésil. Pour en savoir plus sur les projets de notre organisation ou pour faire un don, nous vous invitons à visiter notre site Web au www.avainpec.org (lien offert en anglais seulement).

Le contenu a été fourni par l’APEC.

Conservation et éducation

Sensibiliser à l’importance de la conservation et de la préservation des espèces de perroquets sauvages et gardés en cage, car leur avenir nous concerne.